Métaphysique du PQ
Rag'

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Métaphysique du PQ

Par Rag' - 15-06-2011 00:17:11 - 9 commentaires

Il est de rares moments dans la vie où l’Homme sent, à joie ou à regret, qu’il fait partie d’un grand tout. Du Grand Tout. Où le temps et l’espace sont abolis, où l’expérience vécue le lie à d’autres humains de par le monde et l’Histoire avec un H majuscule.  Le sentiment d’universalité est à son paroxysme, il est LE monde, il est l’Histoire. Il vit. Il ressent ce que des milliers voire des millions d’êtres ont su transmettre à travers des histoires que l’on se narre de génération en génération. Siècle après siècle les histoires sont devenues des légendes, et les légendes des mythes. Et chacun de trouver dans ces contes fantastiques sa propre réalité, sa propre interprétation de l’expérience.

J’ai vécu ce genre d’expérience.

Pendant cinq minutes qui furent une éternité.

Dans un mètre carré qui fut mon univers.

C’était une journée comme les autres. Ces journées rassurantes de banalité dont le souvenir est aussi marquant qu’une interview de Carla Bruni. Comme à mon habitude, je m’étais pointé au boulot à 9 heures tapantes. Après un tour des différents bureaux afin de signaler ma présence et d’honorer la gent féminine d’un chaleureux « bonjour » et d’une accolade sensuelle, je décidai de me mettre activement au boulot (ne riez pas…). Il ne fallut pas plus de dix minutes pour qu’une irrépressible envie m’étreigne les intestins… (Ne sentez-vous pas l’universalité ??)

Je me dirigeai donc vers les commodités réservées au personnel. Le pipi-room est nickel-chrome, rien à redire. Je travaille dans un foyer d’accueil pour enfants et l’on ne plaisante pas avec l’hygiène. J’entre et appuie sur l’interrupteur. Il est temps d’effectuer un petit check-up rapide du lieu d’aisance :
-          contrôle olfactif : OK (c’est important car il est bien connu que c’est comme les gosses, on supporte que les siens),
-          contrôle visuel : OK, c’est clean ;
-          contrôle lunette WC : OK. Super important le contrôle !!! Il existe toujours des pistoleros de la miction qui ont vite fait de te saloper tout ça. Heureusement pour moi, une écrasante majorité féminine fréquente ce lieu. CQQFD.
-          contrôle PQ : le contrôle qu’il ne faut pas négliger ! Le tout n’est pas qu’il y ait du papier, c’est qu’il y en ait assez ! On ne la fait plus à moi. J’ai bourlingué mes fesses sur des centaines de gogues de France et de Navarre et j’ai acquis une certaine expérience qui me permet d’aborder la chose d’une humeur guillerette. Je suis confiant. Je tends la main vers le dévidoir à papier, mes doigts en extension vers l’orifice inférieur du distributeur et je constate que le rouleau vient d’être remplacé. Que demande le peuple ? Quatre cents mètres de papier toilette rien que pour moi ! Je ne crains rien… Le pensai-je.
Le fameux dévidoir à PQ

Et là, vous me dites : « Et l’éternité ? L’universalité ? Le Grand Tout ? ».
Je vous réponds : « Ça vient, ça vient.. ».

Passons les détails de l’action elle-même. Je ne vais pas vous faire un dessin, je ne fais ni mieux ni pire, je n’ai rien inventé.

L’expérience métaphysique commence ici-même. Mon passage dans ses toilettes touche à sa fin. Ne reste plus qu’à me saisir du fameux papier toilette et d’effectuer la sale besogne. Le futal sur les godasses, je tends une nouvelle fois la main vers le distributeur mais, cette fois-ci, avec la volonté d’en retirer quelques feuilles bien pliées. Je touche le rouleau, le tâte dans le but de trouver la salutaire languette, fin morceau de papier signalant le début des quatre cents mètres de PQ. Quatre cents mètres, imaginez-vous !

Rien. Pas de languette. Du bout de l’index et du majeur je fais tourner le rouleau autour de son axe à la recherche de la feuille initiale. Le rouleau est lourd, puisque neuf, il tourne difficilement et je dois m’armer de patience et de dextérité afin de parcourir minutieusement tout la surface du cylindre. L’exercice n’est pas facile, le rouleau n’est pas très équilibré et il a tendance à « s’emballer » et à se lancer dans une folle pirouette sur lui-même. Au bout d’une révolution, je ne m’inquiète pas ; j’ai dû, impatient, faire preuve de négligence et n’ai pas su trouver le bout tant attendu. Deux révolutions plus tard, l’agacement fait place à l’impatience. « Putain ! Mais c’est quoi ce bordel, merde ! » murmuré-je. Je mobilise alors toute mon attention ; de mes cinq sens, le toucher est le plus affûté. Je glisse les doigts sur la surface du rouleau à la recherche de la moindre aspérité, du moindre relief qui pourrait trahir la présence d’un soupçon de début de commencement. Je retiens mon souffle. Je suis le doigt d’un aveugle sur une page blanche. Dans l’expectative de signes en braille qui signifieraient : « Vas-y, fais-toi plaisir et tel Gargantua équipé d’un oison duveteux, torche-toi le cul. »

Toujours rien. Ce n’est pas possible ! C’est irréel ! Un rouleau, ça a un début et une fin. Une première feuille et une dernière. Deux faces. Dont une molletonnée que diable ! Se peut-il que je sois en présence d’une bizarrerie mathématique ? Le ruban de Möbius, ça vous dit quelque chose ? Une bande papier qui n’a qu’une seule face ! Et qui dit une seule face dit pas de début ni de fin, on y tourne à l’infini. L’INFINI ! Mais j’ai autre chose à foutre que de tourner ce rouleau à l’infini sans pouvoir me délecter du doux contact du papier sur la peau délicate de mes fesses !!!

Ruban de PQ de Möbius


J’ai à portée de main quasiment un demi-kilomètre de PQ et je ne peux pas m’en saisir. Qu’ai-je fait pour mériter tel supplice ? Qui veut me punir pour quelque péché ? Dieu existe-t-il ?
Et c’est alors qu’une image vient éclairer ma douleur, mon désarroi. Je vis un mythe. Je suis Tantale, personnage mythologique qui dut subir le supplice de ne pouvoir ni manger ni boire, les branches des arbres fruitiers s’écartant et l’eau refluant chaque fois qu’il tentait de se nourrir ou d’épancher sa soif. Je suis le Tantale moderne. Le PQ se refuse à moi, tour après tour… Sacré Zeus ! J’ai pourtant fait bouillir personne comme le Tantale des Grecs. L’anthropophagie, c’est pas mon truc. Et les repas avec des dieux, je trouve ça mortel.
Tantale et l'arbre à rouleaux de PQ

Qui peut bien m’en vouloir ? Je reprends difficilement mes esprits et ma quête de la languette. Inlassablement je tourne et glisse. Je recommence plusieurs fois sans succès, essayant de créer moi-même une brèche dans le rouleau. Ça ne marche pas, je n’ai pas d’ongle et la surface est trop lisse. Je tourne, et tourne, et tourne…  Je … Je... Je ne suis pas qu’un Tantale moderne, je suis doublement puni ! Je suis Sisyphe, autre figure mythologique qui fut condamné à faire rouler éternellement un rocher jusqu'en haut d'une colline dont il redescendait chaque fois avant de parvenir à son sommet. Crévindiou !
JE SUIS TANTALE ET SISYPHE.
Sisyphe moderne et son rouleau de PQ

Mon rocher est ce rouleau de PQ et ma colline ce distributeur. Mon calvaire prendra-t-il fin un jour ? Les dieux se montreront-ils cléments  mon égard ? Jamais ces mythes n’ont eu autant de signification à mes yeux. Jamais je ne me suis senti aussi proche des antiques Grecs. Homère, Sophocle, Aristote ! Mes frères ! Mes amis ! J’ai compris ! Merci, Platon, des choses et de moi-même, je ne connaissais que les ombres projetées sur les murs de ma caverne. Des sons, je ne connaissais que les échos. Merci.

Alors que les minutes s’égrainaient et que mon supplice me poussait à imaginer le pire : mourir les fesses à l’air (pas propres en plus !), appeler à l’aide et couvrir de honte ma famille pour trente générations, remonter mes loques… l’improbable arriva. Mon index effleura une minuscule aspérité. Mon salut allait passer par là. Je m’échinai à gratter ce mince espoir et, à mon grand soulagement, la feuille prodigue se détacha. Le calvaire était fini. La sueur perlait sur mon front, ruisselait entre mes épaules et roulait jusqu’à la naissance de mes fesses. La température à l’intérieur de cet espace exiguë rendait l’atmosphère irrespirable. Bon, y’avait pas que la température, mais bon, vous savez, c’est comme les gosses… La parenthèse dans l’espace-temps avait pris fin.

Je sortis des toilettes encore abasourdi d’avoir vécu ce que nos Grecs anciens ont transformé en métaphores, ont sublimé en mythe. Quelle expérience, mes amis !
 
 
 

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9 commentaires

Commentaire de chtigrincheux posté le 15-06-2011 à 05:41:14

les repas avec des dieux, je trouve ça mortel.
Celle ci est tout simplement divine ..
Je veux pas dire mais avec toute cette attente ce devait être sec !!!

Commentaire de Mustang posté le 15-06-2011 à 10:36:14

Merdre, comme dirait Ubu!!

Magnifique écriture d'un bref moment dilaté dans l'espace temps jusqu'à son paroxysme!

Excellent! ça met de bonne humeur pour la journée!

Commentaire de fulgurex posté le 15-06-2011 à 10:52:49

Magnifique!
Mais, aveuglé par tant de souffrance, tu as oublié que les Dieux t'ont offert une cuvette pleine d'eau, qui tel un bénitier, t'aurait permis de laver ton amour propre...

Commentaire de Le Lutin d'Ecouves posté le 15-06-2011 à 19:53:09

Tu m'as ouvert le yeux. Maintenant, le troudu sera pour moi comme le passage vers un autre univers, un trou noir, quoi... C'est troublant !

Commentaire de shunga posté le 15-06-2011 à 20:55:44

ça m'est arrivé une fois au taf. Le connard qui massacre le divin rouleau à coups de clé dentée à en creuser un trou. C'est moi !

Commentaire de zorey974 posté le 17-06-2011 à 13:39:41

Faut quand même être sacrément tordu pour transformer une envie de chier en cours de mythologie!
Mais, respect (ou res pêts) quand même pour l'écriture...

Commentaire de Epytafe posté le 17-06-2011 à 14:04:22

Möbius et le PQ.... Tiens, je vais relire Dürrenmatt...

Commentaire de Jay posté le 17-06-2011 à 14:09:01

t'es quand même passer à coté d'une belle carrière ....
"C'est aux toilettes que j'ai composé mes meilleures chansons" - Paul McCartney

Commentaire de RogerRunner13 posté le 18-06-2011 à 19:12:57

Tu as un sacré talent pour l'écriture, grâce à toi je ne regarde plus de la même manière un appareil à pq. MDR.......

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