KikouBlog de Rag' - Avril 2023
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Mud in MUT

Par Rag' - 29-04-2023 18:59:53 - 4 commentaires

Dance, dance, dance in muddy puddles
Splish, splash, splosh, splish, splash
Dance, dance, dance in muddy puddles
Splish, splash, splosh, splish, splash
With a big splash here, and a big splash there

Ainsi s’exprimait une des plus grandes penseuses et essayistes de ce début de XXIe siècle, parce qu’elle était aussi poète et chanteuse à ses heures perdues, Peppa Pig, de son vrai nom Lady Penelope Fried Bacon. « Danse, danse, danse dans la boue, Plif, plaf, plouf, Danse, danse, danse dans la boue, Plif, plaf, plouf, Avec un grand plouf ici, et un grand plouf là», au-delà du caractère régressif de ces onomatopées enfantines, on note ici la volonté de l’autrice d’exprimer son désir de vivre l’instant présent, de réaliser son épanouissement à travers les diverses expériences que la Nature nous offre, un parfait exemple de l’existentialisme de Sartre. Cela siérait parfaitement aux dix dernières semaines qui viennent de se dérouler si j’étais un cochon. Ou un sanglier. Ou un phacochère. Sauf que je ne suis pas à proprement parler un représentant des porcidés…

« On dirait qu’ça t’gêne de marcher dans la boue … [ ?] »

Tu l’as dit, bouffi ! T’as raison, Raymond ! Weh wesh, Michel Delpech! Ça ne m’a pas trop rebuté au début mais je dois bien avouer que la flotte et la boue, et parfois un vent à décorner les bœufs eurent vite fini d’user ma légendaire patience et de me transformer en dangereux « argilophobe » (sic). « Ça raffermit la peau, c’est bon pour les pieds, on en fait de jolis vases », « Mon cul, ouais ! », plein les groles de déraper, glisser, patiner ! Les mois de mars et avril furent un calavaire, un long chemin de croix ! Je ne sais pas s’il y a eu les 14 stations mais je peux vous assurer que Jessie (JC) n’aurait pas gardé son calme olympien s’il avait dû se trimballer sa croix sur les pentes boueuses du mont Golgotha. J’vous prie de croire qu’il en aurait collé des tartes, la multiplication des pains, ça l’connait ! Et chaussé de ses Crocs en peau de chèvre (ou de mouton à quatre cornes !), c’est pas trois chutes qu’il aurait endurées ! Putain de bordel de boue ! … Camons-nous. Ceci dit, il est nécessaire que je reprenne depuis le début la narration de cette aventure qui s’est achevée ce samedi 22 avril vers 19h00.

            Décembre 2022, Ledringhem, Nord. Allergique aux grandes messes du trail depuis un sombre mois d’août 2009 – RIP « esprit trail » parti trop tôt… - je  me mets en quête d’un trail. Le cahier des charges est le suivant :

-       Je n’en connais pas le parcours, 

-       Une fois la ligne de départ franchie, je n’aurai pas l’impression de faire mes courses à Auchan un samedi avant Noël, 

-       Une distance de 80 km minimum sans trop de D+.

En résumé, un trail qui semble abordable pour ma carcasse, mon porte-monnaie et ma santé mentale. Une fois de plus, c’est de l’autre côté de la frontière que le choix s’offre à moi : 

-       à ma droite, LAT pour Legends Ardennes Trail, 100 bornes, 3000 D+, course en ligne, 1ère édition, Ardennes Wallonnes  ;

-       à ma gauche, MUT pour Muur Ultra Trail (Muur Utra Trail), 80 bornes, 2000 D+, course en ligne, 1ère édition, Ardennes Flamandes.

Flandres contre Wallonie, Flamands contre Francophones, bière contre bière. Une opposition classique. Même si le LAT m’a paru, un bref instant, une option envisageable, il faut bien se rendre à l’évidence que les trois dernières années sportives ne plaident pas en sa faveur, un peu trop long mais surtout, ces Ardennes profondes m’inquiètent depuis juin 2019 et cet AMT (Ardennes Mega Trail) qui est à mon modeste palmarès ce que la victoire est à Pyrrhus : un statut de finisher mais à quel prix !? De la sueur, de la bave, des pleurs et un tombereau de tendinites et courbatures en tout genre. Ainsi, avec un physique en carton et un mental en polystyrène, il n’était pas dans mon intérêt de vouloir pisser trop haut. Je me sentais plus l’âme d’un teckel arthritique devant un réverbère que celle d’un Danois conquérant. Ce sera donc le MUT, à savoir un format que j’ai su maîtriser une fois sans pépins en 2018 lors de la 1ère édition du NTMF (Nord Trail des Monts de Flandres).

Janvier 2023. Comme à son habitude, mon frangin emboîte le pas et s’inscrit également sur le Eighty Eighties (jeu de mots que je n’ai toujours pas saisi, au contraire des Mighty Marathon, Dirty Thirty ou Twinky Twelve, les 3 autres distances proposées). Nous ferons la préparation ensemble, l’émulation compensera en partie le manque de motivation qui ne manquera pas de poindre le bout de son nez lorsqu’il s’agira de sortir les groles et la frontale sous la flotte et dans le noir. Ce sont dix semaines relativement chargées qui s’annoncent, le plan que j’ai concocté est une première en soi : je n’ai gardé que 3 sorties course à pied (fractionné en côtes/ « seuil » et sortie longue) et y ai ajouté 1 séance de renforcement musculaire, 1 séance de natation et 1 séance de vélo. J’espérais pouvoir m’éviter les blessures qui n’en finissent plus de raboter mes saisons et entamer mon maigre capital-confiance. Force est de constater que je n’ai pas réussi à m’y tenir ; la faute à la météo pour le vélo, la faute au boulot pour la pistache. Pour les sorties à pied, le boulot a été fait, c’est déjà ça.

Février-Mars-Avril 2023. Ah oui, faut qu’on cause de cette prépa… Naïvement, je m’étais projeté sur une préparation certes exigeante et parfois difficile, toutefois je m’attendais à quelques séances plus « faciles » par ci par là, le genre de séances où tu es dans le « flow », où tu te laisses porter par cet état de grâce qui t’enveloppe, te protège et te fait ressentir une certaine puissance, un bien-être béat… Hé beh, nada, que dalle, walou, peau d’zob ! Pour le « bien-être béat », on repassera. Ce fut une interminable succession de séances laborieuses, où j’en ai bavé, sué sang et eau, non pas tant par le contenu des séances mais surtout par les conditions météorologiques qui n’ont cessé de me pourrir l’existence : soit ça caillait des meules, soit ça pleuvait, soit ça soufflait. Ou les trois ensemble, YOLO !? J’en ai chié grave. À plus d’un titre je me suis souvent senti dans la peau de Karamazov (non, pas l’Aliocha de Dostoïevski), Karamazov Serge, « fils unique » dans la scène de la course-poursuite : 

« Je vais me chier dessus. »

Littéralement j’entends ! C’est pas très glamour tout ça, ça en jette moins que de la Barkley, du Jornet ou de la Backyard, hein ?! Peu importe, j’ai atteint mes limites. Mes sphincters également, mais je tiens à préciser : sans les dépasser.

Même lors des sorties longues, ça n’a pas toujours été du gâteau. Une île flottante plutôt. De la flotte et de la boue, en quantité astronomique, lors du DAQ trail et de la Vic’trail entre autres. Autant de sorties en conditions de course qui, malgré tout, nous rassurent un peu sur notre état de forme : on grimpe facile, le cardio ronronne, la mécanique semble bien huilée. Les dix semaines de préparation touchent à leur fin et nous abordons cette dernière semaine, je ne dirais pas « confiant », mais sans inquiétude. Nuance…

 Pendant ce temps-là, mon épouse trouve un logement qui nous accueillera la veille, côté logistique, elle « assure » (comme la Matmut, ou plutôt la Mam’ MUT, rapport au nom du trail toussa toussa… « Jean Blaguin, humoriste ! »).

C'est drôle, hein?
C'est drôle, hein?

La course se déroulant en ligne, d’un point A à un point B, il semble judicieux d’avoir un logement près du départ, la petite ville de Schorisse. Celui-ci se révèlera extrêmement confortable, accueillant et spacieux,  même si nous avons grimacé après-course lorsqu’il fallut grimper les escaliers qui menaient au logement. 

Un petit mot sur l’organisation et sa communication : j’adore les organisations belges ! Efficaces, pragmatiques, responsabilisantes. Depuis notre inscription, point de matraquage publicitaire via les RS, une réactivité exemplaire à nos questions et le souci de l’accueil et de l’environnement qui nous permettront de nous adonner aux douces joies du trail. Loin de vouloir faire de ce trail une machine de guerre qui écrase tout sur son passage, au propre comme au figuré, le nombre total de participants est limité à plus ou moins 550 coureurs (4 courses). Faire défiler des milliers de coureuses et coureurs à travers les espaces naturels provoqueraient trop de dégâts et/ou de dérangements pour la faune et flore locales. Ainsi nous ne serons que 67 inscrits sur le 80 km et environ 150 sur chacune des trois autres distances. 

Le parcours. Il nous emmènera de Schorisse à Grammont, zone d’arrivée (41 km) où nous enchainerons avec le parcours du Mighty Marathon (+-45 km) avant de revenir dans Grammont pour une partie Urban trail qui nous fera emprunter le mythique Mur de Grammont (Muur van Geraardsbergen), secteur pavé ô combien célèbre du Tour des Flandres cycliste. Je dois bien avouer que lorsque j’ai eu accès à la trace GPX, je me suis inquiété du caractère réellement bucolique de l’aventure, nous aurait-on menti ? Le secteur est beaucoup moins sauvage que ce à quoi je m’attendais, nous ne sommes pas au cœur des Ardennes mais sur ses contreforts, moins de dénivelé donc plus d’activités humaines, plus d’habitations. Vu du satellite, ça ne vendait pas du rêve, loin de là. En revanche, vu du plancher des vaches (ou des lamas)…

             Samedi 22 avril, Schorisse, 7h30. Après une nuit peu reposante, mon épouse nous conduit au départ dans la petite bourgade flamande de Schorisse. Non sans mal car de multiples déviations nous contraignent à rallonger le trajet et à diminuer subtilement la largeur de notre sillon inter-fessier… On serre les fesses quoi. Arrivés à Schorisse, l’église est vite repérée, la ligne de départ se situe juste derrière, à côté de l’école communale. C’est bon, on y est. Première interrogation du jour : ne nous serions-nous pas trompés ? Aucun bruit, aucun signe d’animation, c’est calme, paisible, une nappe de brume couvre les pâturages environnants, seul le champ matinal des oiseaux vient troubler la quiétude des lieux. On contourne l’église et s’offre à nous ce spectacle irréel : cinq ou six personnes sont affairées à préparer la ligne de départ. L’arche n’est pas encore gonflée, aucune sono pour cracher quelques titres rock’n roll réchauffées ; mais bientôt un duo saxo-synthétiseur s’installe et se met à jouer des titres populaires en attendant le reste des concurrents. Béni soit Charlie Oleg ! En tout cas, aucun signe d’empressement pour le staff : no stress, no fioritures, à la cool, à la belge quoi, j’a-do-re. Quinze minutes avant le départ, tout est en place, les coureurs sont arrivés, tous équipés de trackers GPS (comme des pros), les appareils photo et les caméras sont de sortie, ça mitraille et ça filme sévère, un drone vient compléter tout ça. L’équipe en charge de l’organisation semble extrêmement réduite mais exceptionnellement efficace. Une petite production hollywoodienne ! De plus, l’animateur [Mout Uyttersprot] qui s’empare du micro n’est pas sans rappeler Couscous (Jean-Paul  Rouve dans Podium) :   coupe mi-longue, veste improbable (en fourrure, un truc comme du putois) et le reste à l’avenant.

Équipé de son micro relié à une enceinte portative, il est là pour mettre l’ambiance et ça se voit ! Mais ça ne s’entend pas. Bon, on ne comprend rien de ce qu’il dit. Godverdomme ! Nous sommes en Flandres et malgré nos racines flamandes, sommes bien incapables de piger quoi que ce soit, nos compétences linguistiques se limitant à quelques expressions et autres jurons populaires. [On me signale dans l’oreillette que le dit-animateur est un acteur belge, surtout connu pour son rôle de Filip dans la sitcom flamande De Kotmadam, il est aussi un fervent amateur de trail].

            8h00, le départ est lancé, un petit coucou à mon épouse puis Flo et moi enclenchons le mode « 6min/km ». Les premiers kilomètres sont une mise en bouche de ce qui nous attend pendant les prochaines 85 bornes, du plat, du faux-plat et quelques pentes nécessitant d’adopter marche plutôt que course. La météo est idéale, fraîche mais pas un nuage à l’horizon, profitons-en ! Et, comme l’a si bien chanté Coluche : « convenons-en ! », convenons que c’est vachement joli en ce début de printemps : des bois, des pâturages, quelques champs et des bestioles à plumes et à poils. Tenez, en parlant de bestiole à poils (ne vous inquiétez pas, rien de dégueulasse ne va suivre, pas la peine d’éloigner les enfants), un peu après le départ, j’aperçois un   petit troupeau de moutons dont l’espèce m’interpelle : des moutons à quatre cornes, le genre d’animal que tu imagines soit dans des rites occultes où le maître de cérémonie est coiffé d’une tête sanguinolente d’ovin, soit sur les pochettes d’album d’un groupe suédois de Black Metal.

Bon ou mauvais présage, le doute m’habite ? Ce mouton qui semble tout droit sorti du bestiaire démoniaque de Brueghel l’Ancien et qui nous observe d’un regard torve est-il une créature démoniaque à la recherche d’âmes à damner ? D’un coup de sabot, va-t-il ouvrir la porte des enfers et nous condamner à une éternité de souffrance sous les fourches acérées des hordes de démons ? Est-ce que Satan l’habite ? Fort heureusement, rien ne viendra confirmer mes craintes et nous nous éloignons à petit trot du pré en forme de pentagramme…

            9h00, une heure que nous sommes partis (calcul mental de ouf !). Tout semble en ordre, le parcours est roulant bien que très humide et boueux. Nous empruntons plusieurs anciens chemins pavés dont les pierres nous malmènent les plantes de pied ; entre les bas-côtés glissants ou les arêtes en granit, je choisis la première option. Nous nous alimentons et nous hydratons très régulièrement, la boisson isotonique et la barre énergétique sont appréciées… 

Km 17, premier ravito. Nous rechargeons les poches en boisson énergétique et je me jette sur les chips et les cacahuètes, un peu de salé ça ne se refuse pas. Presque deux heures que je sirote ce truc affreusement sucré et mes papilles commencent déjà à saturer. Nous repartons dans la joie et la bonne humeur, encouragés comme il se doit par le responsable de l’organisation. Nous l’avons déjà croisé lors du retrait des dossards la veille et ce dernier profite de notre arrêt pour s’enquérir de notre ressenti en ce début de parcours. Nous sommes littéralement enchantés par les paysages, le tracé varié et ce balisage qui ne laisse jusqu’alors aucune place au doute.

             Les kilomètres défilent, nous traversons de nombreux bois où des tapis de jacinthes ondulent d’un mauve apaisant sous les frondaisons de hêtres, chênes et autres résineux majestueux.

Soudain, un brocard en velours apparait à notre droite et nous accompagne sur quelques centaines de mètres, quel plaisir de traverser ces espaces naturels et avoir le privilège d’observer un tel spectacle. [Mode « Jamy » ON] Un brocard en velours est un chevreuil mâle dont les bois sont encore recouverts d’une peau appelée « velours » et non, il ne porte pas un pantalon velours côtelé, un collier de barbe et une sacoche en cuir en bandoulière [Mode « Jamy » OFF]. 

             Quelques minutes plus tard, nous avons l’heureuse surprise de croiser notre quatuor de supportrices inconditionnelles (ma belle-sœur, mes deux nièces et mon épouse) qui vont nous suivre tout au long du parcours grâce au Livetrack que j’ai activé. Les pancartes d’encouragements sont de sortie ! Nous les croiserons plus d’une dizaine de fois et leur soutien sera un précieux réconfort dans les moments plus difficiles.

Nous échangeons quelques mots et repartons vers le second ravitaillement au km31. Je ne me souviens plus très bien de ce que j’y ai fait cependant je peux dire qu’à partir de ce moment, la petite balade sportive du samedi matin s’est imperceptiblement mué en « dans quelle galère nous ai-je embarqués ? ». Entre temps la flotte s’est invitée et me refroidit les guiboles. Le pas n’est plus léger, les muscles se nouent, l’heure n’est plus à la douce euphorie… La pluie et le vent d’est érodent mes ambitions en jetant un voile sombre sur mes capacités à aller au bout de cette aventure. Encore 55 bornes à tenir comme ça, je ne m’imaginais pas me sentir autant usé après 30 km, alors que notre objectif répété depuis le début était d’arriver au 41e km « relativement frais » et de commencer la course à ce moment-là. Le plan  ne se déroule malheureusement pas sans accroc. Saint Hannibal Smith, priez pour nous !

          Et quand ça veut pas, ça veut pas… Mon genou commence à me gêner, comme dans quasiment tous les trails de 30 bornes et plus : TFL ou tendon rotulien, si c’est pas l’un, c’est l’autre. On peut dire que je n’en mène  pas large, c’est la fête à Neuneu, le salon du bobo, le festival de la couille : le physique en carton et le moral en polystyrène, j’vous l’avais dit ! Pour Flo, c’est pas beaucoup mieux, ça tape des semelles plus qu’à l’accoutumée, son ménisque joue les yoyos et une obscure tendinite achiléenne se rappelle à son bon souvenir. Décidément, ce trail se mue en cour des miracles, en pèlerinage de lépreux vers Jérusalem, les boiteux comptez-vous ! Pour nous consoler, nous avons en point de mire le ravito du km41 où nous attendent notre « sac de rechange » et un ravitaillement plus conséquent. Et hop ! Hocus pocus ! Abracarambar ! Nous voilà rhabillés de la tête aux pieds, au sec, en mode conquérant, le regard volontaire portant sur l’horizon lointain… … … Non, ‘fin, pas tout à fait, ça ressemble plutôt à une longue suite d’onomatopées. « Gnnnrr ! (putain de chaussures qui collent), Arrrrrhhh ! (les chaussettes gorgées de flotte et de boue), Grrrrrr p‘taaaiinn ! (Le pied nu dans la boue), Chiéééé ! (le dossard que tu dois accrocher sur le maillot sec), frot’ frot’ frot !’ (la serviette qui sèche). Ce « pit-stop » relève plus d’un numéro de cirque : équilibrisme, contorsion et escamotage (froid + pluie + effort = vasoconstriction, dois-je vous faire un dessin ?).

        Cet arrêt nous prend une bonne vingtaine de minutes, néanmoins courir au sec nous permet de repartir dans un confort matériel bénéfique pour notre moral, d’autant plus que la météo se montre plus clémente, la pluie a cessé et le soleil arrive par endroits à percer la couche nuageuse (oui, vous savez bien, ce « ciel si bas qu’un canal s’est perdu »). Plus que 45 km … Ah oui, j’allais oublier le bouillon ! Quel plaisir d’avaler enfin un truc chaud, un peu salé après 4h30 à avoir ingurgité des trucs plus sucrés les uns que les autres. J’en peux déjà plus de ces gels, barres, boissons et autres qui me transforment petit à petit en marrons glacés ou en pâtisseries marocaines. J’vais finir par pisser des Dragibus. Nous repartons ragaillardis. De plus, les quelques étirements des quadriceps que j’ai effectués ont fait disparaître les gênes au niveau du genou, en revanche du côté des cuisses, ce n’est pas la grande fraîcheur.

« There is no alternative ! », Margaret T.

              Cette deuxième partie nous fait tricoter autour de la ville de Grammont, et nous longeons des villages, traversons des bois, des zones humides, très humides, excessivement humides et surtout boueuses. Tous ces petits efforts pour ne pas glisser ou trébucher, rester concentré sur où et comment poser les pieds sont usants. J’en viens à apprécier les montées calmes et rythmées. Question forme, nous nous refaisons un peu la cerise pendant 1h30 ; à tour de rôle l’un emmène l’autre au gré des baisses et regains de forme. Cependant, à l’instar de Desproges qui « [sentait] bien depuis quelques temps [qu’il s’essoufflait] beaucoup trop bruyamment dans certains escaliers trop raides ou dans certaines femmes trop molles », notre allure tend à diminuer dans les pentes trop raides et les boues trop molles. Flo peste contre ce putain de ménisque, se demande ce qu’il fout là, qu’il ne prend pas de plaisir. Il est ronchon le frérot ! En ce qui me concerne, ça fait depuis le 30e km que je me dis que je ne suis pas fait pour ce genre d’efforts. J’aime en chier à l’entraînement, pousser la machine mais le jour J, j’aimerais pouvoir en retirer les bénéfices, merde alors ! Il reste une trentaine de kilomètres et je prie pour que notre état ne se dégrade pas trop… J’essaie de rassurer Flo en évitant les grands discours, les envolées lyriques telles que « t’as fait le plus dur ! », « n’y pense pas ! », « allez, ça va passer crème ! - certes je ne qualifierais pas ces quelques phrases de « lyriques » mais je vous la fais courte, on a l’idée quoi… Sinon question lyrisme, je me défends - , donc j’évite d’ajouter à sa douleur une logorrhée totalement déconnectée de la réalité et qui ne ferait qu’agacer un peu plus le frangin, on est fait du même bois. J’avance, il avance et hop ! on avance, on avance (C’est une évidence, de toute façon on n’a pas assez d’essence pour faire la route dans l’autre sens…). Ainsi nous nous fixons de petits objectifs : les ravitos. Chaque étape est une petite victoire en soi. Et 10 bornes par-ci et 16 bornes par-là, les compteurs tournent. Les filles nous encouragent à chaque fois que l’on traverse un axe routier, ça permet de nous changer les idées pendant quelques instants et de repartir un peu plus serein. Aussi, nous traversons l’immense propriété d’un châtelain local, impressionnante bicoque et un domaine bien sympathique. Et surtout nous croisons des lamas… oui, des lamas, les trucs qui ressemblent au croisement improbable d’une girafe et d’un mouton. Il faut savoir que la Belgique, particulièrement la Flandre, à l’instar de la Hollande qui se targue d’être l’autre pays du fromage, est l’autre pays du lama, de l’alpaga ou de la vigogne ! Y’en a partout ! Tu colles deux trois mecs bronzés avec des ponchos, des bonnets de zadistes et des flutes de pan, tu plisses les yeux et tu te crois au Pérou, au pied du Machu Picchu ! Et s’il n’y avait que ça ! Il n’est pas rare de croiser des daims, des muntjacs (ou un cervidé dans le genre), des paons albinos, des wallabies albinos, j’en passe et des meilleurs. Un truc de fous ! En  tout cas, je ne sais toujours pas si le lama crache s’il est fâché !

Tintin en Flandres

                Nous rejoignons ainsi Grammont autour du 70e km, ça sent bon l’écurie ! Ces deux dernières heures ne sont pas les plus fun(s) de notre périple, c’est peu de le dire. Cela relève plus de l’Urban trail avec quelques passages bien pentus sur le Mur de Grammont cher aux cyclistes, des escaliers bien raides, des rues pavées (ouille les plantes de pied !). Nous longeons une dernière fois la rivière Derdre avant de rallier l’arrivée sous les applaudissements de nos fidèles supportrices, des organisateurs et des personnes occupées à siroter leur bière. Une nouvelle fois, Flo et moi franchissons la ligne ensemble, l’essentiel est là, chacun tire profit de la présence de l’autre, j’en suis persuadé. L’accueil est exceptionnel, point d’anonymat pour les Français. Le responsable du tracé nous prend dans ses bras et nous entamons une petite discussion fort amicale avec lui et le fameux « châtelain » (il aurait pu nous payer une bière !). Nous échangeons quelques plaisanteries et ne manquons pas de les féliciter pour cette journée exceptionnelle en tout point. 

           Une dernière fois, les bénévoles sont chaleureux et bienveillants à notre égard, nous discutons avec deux autres membres du staff à propos du parcours, du balisage, et des difficultés. Je prends vraiment plaisir à échanger, rencontrer les personnes qui sont derrière ces événements. Les grosses machines ne permettent pas ce genre d’interactions, c’est la différence entre faire ses courses dans un supermarché ou chez un producteur, même si les produits sont identiques, l’expérience et les effets sont différentes. Pensons-y…

J+5 : Le bilan est globalement positif même si ce ne fut pas un long fleuve tranquille, comme je l’aurais souhaité. Le format long nous convient-il ? À réfléchir… Et à suivre.

Yann Rag’

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